Argumentaire |
Dans une perspective transnationale, nous proposons d’étudier l’historiographie de l’architecture au prisme des circulations et des transferts culturels. Formulés par Michel Espagne et Michael Werner (1) dans les années 1980 pour analyser les échanges franco-allemands, les transferts culturels nous invitent à observer et étudier les processus d'importation et d’assimilation des comportements, écrits, idées, valeurs, concepts et nouvelles façons de penser.
Il faut souligner que transférer « ce n’est pas transporter, mais plutôt métamorphoser (2) ». Lorsqu’un objet culturel sort de son contexte d’origine, il peut donc changer de signification. Ainsi la journée propose de centrer le débat sur les transferts (3) et les circulations transnationales dans l'historiographie de l'architecture, tout en identifiant les dynamiques de « re-sémantisation » dans ce domaine. Si les transferts culturels ont déjà été abordés dans l’histoire de l’art les travaux dans le domaine de l’historiographie de l’architecture restent plus restreints. Dans le cas de l’historiographie de l’art, citons notamment les travaux de Michel Espagne (4) , de Béatrice Joyeux-Prunel (5) , d’Émilie OléronEvans (6) et de Michela Passini (7) . Au-delà du regard sur les discours, ces historiens ont analysé l'historiographie de l'art sous le prisme des transferts culturels et des circulations transnationales de modèles et savoirs.
C’est l'auteur du terme « transfert culturel », Michel Espagne, qui a utilisé le premier cette approche dans ses travaux sur l'histoire de l'art. Dans la publication consacrée aux transferts culturels francoallemands, il aborde les questions liées à la consolidation de la discipline au XIXe siècle, en soulignant en particulier l'itinéraire intellectuel de l’historien de l'art Carl Justi. Dans L'histoire de l'art comme transfert culturel. L'itinéraire d'Anton Springer, il a approfondi cette démarche et, à partir des déplacements de Springer, exposé les circonstances de la genèse de la discipline de l’histoire de l'art dans le contexte germanique et européen. Citons également les travaux de Béatrice Joyeux-Prunel qui étudie les perspectives transnationales des mouvements de l'art d'avant-garde parisienne, et d’Emilie Oléron-Evans qui aborde quant à elle les travaux de Nikolaus Pevsner entre Allemagne et Angleterre.
Ces deux recherches mettent l'accent sur les questions d'échanges, de circulation et de transfert, brisant la logique des territoires nationaux dans la production de l'histoire de l'art et l'analyse des récits historiques. Les recherches de Michela Passini sont à relever, car elles portent également sur l’analyse transnationale de l’histoire de l’art et son historiographie. Selon l’auteur, pour qui l’histoire de l’art est une discipline transnationale par excellence, « l'approche transnationale est un puissant antidote contre la tentation téléologique. Dès qu’on s’attache à retracer les circulations d’information dont se nourrit la construction des œuvres et des méthodes, les mythologies des « pionniers », de l’unicité de leur pratique, du primat de leurs intuitions volent en éclats (8) .
A partir de ces travaux et en ce consacrant à l’historiographie de l’architecture, cette journée doctorale entend aborder les itinéraires d’auteurs et d’historiens, le rôle des réseaux professionnels dans les processus d’écriture, l’interférence des médiateurs dans le processus d’élaboration de traductions. L'objectif est d’étudier et de questionner, de diverses manières, le statut et les méthodes d’écriture de l’histoire de l'architecture, en considérant la diversité des genres historiographiques – ouvrages, revues, périodiques, manuels, publications didactiques des cours d’architecture, y compris leurs traductions – et les multiples méthodes de diffusion. Il s’agit alors de considérer le champ théorique de l’épistémologie de la discipline à partir d’une approche historique culturelle. La journée propose de réunir des doctorants et jeunes docteurs en histoire, histoire de l’architecture, histoire de l’art et sciences sociales dont les travaux s’intéressent « aux histoires » de l’architecture à travers cette approche transnationale et circulatoire. La richesse de cette journée d’étude se fera par la diversité des sphères géographiques et chronologiques.
Notes
1 Michel Espagne et Michael Werner, « La construction d'une référence allemande en France 1750- 1914. Genèse et histoire culturelle », Annales ESC, juillet/août 1987, p. 969-992 ; Michel Espagne et Michael Werner (dir.), « Transferts. Les relations interculturelles dans l'espace franco-allemand (XVIIIe-XIXe siècles) », Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations, 1988.
2 Michel Espagne, « La notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 01 mai 2012, consulté le 06 octobre 2017. URL : http://rsl.revues.org/219 ; DOI : 10.4000/rsl.219
3 Sur des différentes approches de la notion voir notamment : Béatrice Joyeux-Prunel, « Les transferts culturels. Un discours de la méthode », Hypothèses, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, 1 (6), p. 149-162.
4 Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, Presses universitaires de France, 1999 ; L’histoire de l’art comme transfert culturel : l’itinéraire d’Anton Springer, Paris, Belin, 2009 ;
5 Béatrice Joyeux-Prunel, Les avant-gardes artistiques. Une histoire transnationale, 1848-1918, Paris, Gallimard, 2016 ; Les avant-gardes artistiques. Une histoire transnationale, 1918-1945, Paris, Gallimard, 2017.
6 Émilie Oléron-Evans, Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts: des origines allemandes de l’histoire de l’art britannique, Paris, Demopolis, 2015.
7 Michela Passini, La fabrique de l’art national : le nationalisme et les origines de l’histoire de l’art en France et en Allemagne, 1870-1933. Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2012 ; L'oeil et l'archive Une histoire de l'histoire de l’art, Paris, Éd. de la Découverte, 2017.
8 Michela Passini, L'oeil et l'archive Une histoire de l'histoire de l’art, Paris, Éd. de la Découverte, 2017.
Les axes |
Nous proposons deux principaux axes de réflexion pour cette journée d’étude : - Réseaux professionnels Cet axe entend étudier le rôle des réseaux professionnels dans le processus d'écriture « des histoires » de l'architecture à travers les transferts culturels transnationaux. Dans quelle mesure les réseaux professionnels de différentes aires culturelles ont-ils contribué à la formation des discours architecturaux ? De quelle manière les voyages, les migrations ou encore les relations professionnelles ou privées ont-ils contribué à transférer, dans le sens de métamorphoser, des idées, des concepts ou des méthodes ? Comment les transferts et le processus de re-sémantisation se sont-ils dé- roulé ? L’implication des différents acteurs dans le processus d’écriture est également à questionner. Par exemple, quels ont été le rôle des médiateurs (commanditaires, éditeurs, traducteurs), des institutions (universités, écoles d’architecture, musées, associations professionnelles) et des lieux de rencontres (congrès, colloques, rencontres biennales, centre des recherches) dans la construction d’une histoire de l’architecture ? Autrement dit, quel est l’impact des transferts culturels sur l’écriture de l’histoire de l’architecture ? - Diffusion/réception et discours Le second axe de cette journée d’étude interroge la diffusion et la réception de publications marquées par des transferts transnationaux. Comment un même ouvrage peut être réceptionné de façon différente en fonction du pays ou de la région dans laquelle il est publié ? Quels sont les causes et les enjeux de ces changements de signification des discours et dans quelle mesure les transferts, notamment les intermédiaires à ces transferts, ont un impact sur la réception d’un ouvrage ou d’un texte ? Quelles sont les conséquences des transferts culturels sur les discours historiques de l’architecture ? |
Conférenciers |
Paolo Scrivano
Professeur associé d'histoire, de théorie et de critique de l’architecture,
Xi’an Jiaotong-Liverpool University, Suzhou, RPC.
Il est titulaire d'un doctorat en histoire de l'architecture du Politecnico di Torino et a enseigné au Politecnico di Milano, à l'Université de Toronto et à l'Université de Boston. Il a reçu des subventions et des bourses de diverses institutions internationales, notamment du Centre canadien d'architecture, du Centre d'études avancées en arts visuels, par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, l'Australian Research Council et le National Agence de recherche. Au cours de sa carrière, le professeur Scrivano a organisé des symposiums et des expositions, édité des livres et contribué à de nombreux essais et chapitres dans des travaux collectifs. Ses publications et activités comprennent « Tra Guerra e Pace. Società, Cultura e Architettura nel Secondo Dopoguerra » (1998, en tant que co-éditeur), «Storia di unidea di architettura moderna . Henry-Russell Hitchcock et l'International Style »(2001), «Olivetti Builds: l'architecture moderne à Ivrea » (2001, en tant que co-auteur), l'exposition « Construire la ville humaine: Adriano Olivetti et Urbanisme » (2002 ), et l'organisation de la conférence internationale « The Americanization of Postwar Architecture » (2005). Plus récemment, il a co-édité des numéros monographiques des revues Architecture and Ideas («Experimental Modernism», 2009) et «Visual Resources: une revue internationale de documentation» («Intersection of Photography and Architecture», 2011), et est l'auteur du volume «Construire l'Italie transatlantique: dialogues architecturaux avec l'Amérique de l'après-guerre» (2013). Il écrit actuellement un nouveau manuscrit intitulé « Modern Architecture as a Transnational Discourse: Itineraries, Exchanges and Narratives between the 19th and 20th Century ».